Colloque d’Oncogériâtrie

Colloque d’Oncogériâtrie

Colloque d’Oncogériâtrie
Qualité de vie, qualité d’une vie

Nous avons l’habitude de rencontrer la phrase « l’essentiel n’est pas de vivre, mais de bien vivre.
Or la formule est tronquée, dans le dialogue entre Criton et Socrate il ne s’agit pas d’une affirmation mais d’un questionnement :

« Le principe: l’essentiel n’est pas de vivre, mais de bien vivre…. est-t-il changé ou subsiste-t-il » ? (Platon, Dialogue Criton Socrate 48b)

C’est exactement cette question qui nous occupe aujourd’hui, pour chacun de nos malades, pour chacun d’entre nous: est-ce que ce principe subsiste au regard de la qualité de la vie et de la survie que nous permettent la maladie et ses traitements, la vieillesse, les pertes… ?

Est-ce que la façon de continuer à exister au-delà de ces pertes est du « bien vivre » et donne toujours du sens à la vie de telle ou telle personne?
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Pour reprendre succinctement l’histoire, que vous connaissez sans doute tous, de l’attention à la notion qualité de vie , nous trouvons déjà une première initiative dès 1949 chez Karnofsky et Buchenal, qui confient au médecin l’évaluation de l’aspect physique fonctionnel du malade.
C’est une observation extérieure.

L’intérêt pour la Qualité De Vie comportant la notion de subjectivité apparaît aux US dans les années 60 et commence à se préoccuper aussi de la survie .
En 1993 la définition de l’OMS dit : « La qualité de vie est définie comme la perception qu’un individu a de sa place dans la vie, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes ».

En 1996 la Sté Américaine d’Oncologie Clinique considère les mesures de la survie et de la qualité de vie prioritaires par rapport à l’évaluation de la réponse tumorale: prolonger la survie ne se fait donc pas à n’importe quel prix.

En 2003, on s’interroge sur le bien-fondé de certaines thérapeutiques agressives non curatives.

L’évolution de l’éthique des droits des malades tend vers plus d’autonomie, de prise de responsabilité et de liberté et met l’accent sur l’importance de l’aspect qualitatif de la survie. Le malade a droit à une place de partenaire informé et actif dans le processus de décision. D’ailleurs le plan cancer (mesures 42 et 43) affirme que les soins de support visent à assurer « la meilleure qualité de vie possible aux patients sur les plans physique, psychologique et social à tout moment de la vie »; c’est une perception qui se veut subjective et globale.

En juin 2010 ns trouvons une évaluation de la qualité de vie faite par l’ INCa pour le plan Cancer 2009-2013.

Le 26 mai 2011, dans le n° 629 de la FRDRMG ( Société française de recherche et documentation en médecine générale) nous trouvons des conclusions, après un suivi moyen de 11 ans de personnes ayant eu un soutien psychologique dès le diagnostic, qui montrent (femmes suivies 10 ans pour un cancer du sein):
– moins de dépression (d’ailleurs nous observons très peu de prises d’antidépresseurs par les malades qui viennent à notre association régulièrement)
– moins de récidives
– mortalité toutes causes réduite
– en phase métastatique , 18 mois de survie supplémentaire par rapport au groupe témoin
– le bénéfice semble supérieur surtout sur les K de mauvais pronostic.

Peut-on vraiment définir la Qualité De Vie?

La qualité de vie est un concept complexe, multifactoriel et subjectif qui doit être exprimé par la personne elle-même.
Comment un soignant, ou un proche… peut-il définir lui-même la qualité de vie d’une personne? son appréciation est forcément subjective, ce n’est pas la meilleure.
Le médecin l’aborde-t-il avec son malade en consultation? comment l’accompagner dans cette réflexion?
Il y a autant de notions subjectives que de sujets et cela exige attention et partage, écoute de l’expression du ressenti et des émotions pour aider la personne à cheminer, non pas comme on le souhaiterait, mais l’aider à trouver son chemin singulier. Donc beaucoup de temps.

Il faut se méfier de l’empathie : « je sais ce que je ressentirais à sa place » est un investissement émotionnel souvent inadéquat: « pas la même planète », disent les malades…

Comment soutenir le sujet dans un travail de re-création, dans une remise en jeu pulsionnelle et relationnelle?
La maladie et plus encore la maladie et la vieillesse, ébranle l’identité, suscite un questionnement vital : mourant depuis la naissance… qui suis-je?
Et de quel sujet parle-t-on, celui qu’on a devant soi, réduit à l’objet de son corps souffrant, celui qui est sidéré, qui a du mal à penser, qui veut maîtriser et ne maîtrise parfois plus rien? ou le sujet de l’inconscient. ***

La maladie potentiellement mortelle donne rendez-vous avec soi-même et avec notre condition humaine de martels; il faut se remettre au monde au-delà des pertes (souvent renforcées par le système de soins lui-même)… corps, contrôles, conjoint, famille, amis; travail, argent, sexualité, identité… la vie d’avant : il nous faut alors être attentifs à l’agressivité, qui masque souvent une dépression!
Elle rouvre des questions sur la filiation, questionne le sens, la solitude…et suscite la peur d’être redéfini et re-nommé par rapport à la maladie et la vieillesse: un « cancéreux », un « vieux »…
Elle convoque la mort, ici et maintenant. Comment remettre celle-ci à l’horizon , réinvestir des objets de désir quand on est dans l’incertain? d’autant plus si l’on est âgé?

La maladie et la vieillesse convoquent aussi la question des temps, Chronos (celui qui nous mange, nous fait vieillir et mourir) et Kairos (le temps du moment favorable, opportun, qui mène au port…). Le temps est une expérience intériorisée, il n’est pas le même dans l’attente et le doute, dans les protocoles de soin, ni après le dernier rendez-vous…
L’annonce de la maladie potentiellement mortelle a cassé le déroulement prévisible du temps… et l’annonce d’une rémission ne redonne pas le temps d’avant!

Les soins de support font partie de ce qu’on appelle les médecines complémentaires (pas alternatives), il y en a à peu près 400… ils font partie aussi souvent des soins palliatifs dits » précoces ».
Nous, nous préférons dire « dans tous les temps de la maladie », y compris hors ou après le temps médical, quand la personne se sent abandonnée, quand le médecin dit tout va bien je vous reverrai dans un an …; et dès l’annonce, où il faut souvent reformuler, tant la personne reçoit une quantité d’informations alors que le trauma l’empêche de penser.
Ils sont applicables à toutes les maladies… et me disait récemment une malade: « à tous les bien-portants aussi, cela fait tellement de bien! »

Mais attention au charlatanisme, une commission sénatoriale s’y est penchée en 2012-2013. (Président : Sénateur Milon; « Commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé »). Nous y avons consacré une soirée thématique.

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V. Hugo : » Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue! »

Notre association accompagne les malades, les proches et les soignants de ville dans tous les temps de la maladie, à tout âge, pour tout cancer, parfois vers la guérison, parfois le difficile retour au travail et aussi parfois le travail du trépas et la mort.
Nous accompagnons le deuil des proches s’ils le souhaitent.

« Accompagner » c’est partager le pain, à côté, ni devant ni derrière…

J’ai fondé l’association Accueil-Familles-Cancer fin 2008, en ville, à Saint Maur des Fossés, pour le Val de Marne, avec une ancienne malade, un médecin anesthésiste, médecin « douleur » et un médecin psychothérapeute familiale; je suis moi-même psychanalyste, après une préhistoire en biologie et un DU de psychosomatique.
Notre Lieu d’accueil est ouvert depuis mai 2009.
Ecouter, soulager les douleurs psychiques, accompagner le cheminement, toujours singulier, et les désirs tendent à permettre le plus possible au patient de vivre sa vie ; les besoins qu’expriment souvent les malades est la peur de la perte de toute autonomie, surtout chez les sujets âgés qui peuvent penser à juste titre qu’elle ne reviendra pas et qui sont confrontés à leur fragilité, à un nouveau rapport au temps, au miroir, au regard de l’autre.
Une prise en charge adaptée est nécessaire, un étayage particulier, un regard qui recueille, qui s’implique…

Nous soutenons cette autonomie et accompagnons l’intégration des stess majeurs qu’apporte le cancer, avec la convocation de la mort et les multi-traumatismes qui intéressent le malade et ses proches.

Notre association a commencé à proposer en 2009 un Groupe d’écoute pour les malades.
Mais la parole, si souvent prescrite (voyez un psy, il faut aller en parler, etc… est-elle toujours nécessaire? et suffisante? Nécessaire à quoi ?? m’aider à guérir? comprendre? ….
Pour certaines personne cela permet d’élaborer, de franchir des étapes, d’intégrer les évènements dans son histoire, de dépasser les trauma pour trouver des réinvestissements objectaux ( comme après un deuil).
Pour d’autres elle restera en surface, ou même sera trop douloureuse ou trop difficile, inconnue même. Il faut alors trouver d’autres moyens d’étayage, par le corps: nous avons mis en place peu à peu:
– des Ateliers:
– modelage d’argile (pour les malades et les enfants de parent malade),
– sophrologie,
– écriture et traces,
– relaxation,
– méditation,
– art thérapie.

– pour les proches un Groupe de parole mensuel

– pour les soignants de ville une supervision tous les deux mois.

Ce sont des professionnels du soin psychique et des thérapies relationnelles qui accompagnent.

A l’extérieur nous organisons aussi des soirées à thème pour tout public.

Nous nous rendons aussi à domicile jusqu’en fin de vie si la personne et sa familles le souhaitent : dans le « chez soi » du malade, le corps et la maison sont liés.
Nous accompagnons le travail du trépas.
Et si les proches le souhaitent ensuite le temps du deuil.

L’étayage que nous proposons aide à faire les compromis pour garder sa valeur personnelle, son identité, à ne pas oublier « sa vie à soi ».. tout au long du chemin.

Le cancer est aujourd’hui souvent une maladie chronique, parfois jalonnée de récidives, qui font douter de la médecine, des médecins, de soi-même, du corps qui a trahi…
Nous souhaiterions pourvoir commencer à accompagner les malades dès la première annonce.

Les traitements ont amené une amélioration de la survie, des prises en charges plus longues, des suivis dans la durée et souvent à domicile : prise en charge globale, pluridisciplinaire et continue.
Cela permet une mobilisation chez le malade de ses capacités d’adaptation, de ses ressources propres devant les trauma physiques, psychologiques, familiaux, socioprofessionnels … et financiers, devant la détresse émotionnelle, la sidération , l’angoisse de mort.

Les réponses vont influencer l’adhésion aux traitement, la qualité de sa vie et même les chances de survie.

Le soutien et l’accompagnement par un suivi psychologique et des soins de support améliorent non seulement la qualité de la vie de chaque personne telle qu’elle en conçoit le sens, mais aussi sa durée (par exemple : étude Spiegel, Kraemer, Bloom,Gottheil: sur 3 ans, à propos des « soins palliatifs précoces », sur 151 patients ( Lancet 1989) bénéficiant d’un soutien de groupe).

On traite le malade, pas seulement la maladie, on s’efforce de remettre en sécurité, même et surtout à la fin du traitement( le malade se sentant alors souvent abandonné comme nous l’avons vu.).
Nous aidons les malades à intégrer la maladie comme un évènement historique, pas comme nouvelle identité, même si la personne expérimente des flottements de son identité à cause de la maladie et des traitements.
Nous accompagnons ses métamorphoses et ses projets!

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J’aimerais finir sur trois petites vignettes cliniques de trois personnes qui viennent régulièrement au groupe d’écoute ou à nos ateliers et manifestent toujours leur plaisir d’être là, de venir au groupe découte.

– La première, 66 ans, souffre d’un lymphome, d’une maladie hémolytique, d’un diabète et d’une ostéoporose . Elle est partie récemment en croisière sur le Rhin…et garde autant qu’elle peut ses 3 petits enfants avec lesquels elle fait de la musique…
-La seconde, 83 ans, a été opérée d’un cancer du poumon il y a 5 ans, elle vient d’accomplir avec l’un de ses fils un périple en Allemagne et en Autriche, elle ne rate pas une pièce de théâtre ou un concert…
-et enfin la troisième, 89 ans, 14 ans de chimio pour un cancer ovaire-péritoine, fait encore partie d’une chorale de la Ligue du Bien Public, organise des thés chez elle … et ne rate aucun concert non plus.
Elles s’y retrouvent d’ailleurs souvent car elles ont tissé des liens forts, se téléphonent, se soutiennent et rient beaucoup.

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*** Et maintenant je vais répondre à la question que vous ne m’avez pas encore posée sur « le sujet de l’inconscient »…!

« La psychanalyse n’est ni une vision du monde, ni une philosophie qui prétend donner les clés de l’univers. Elles est commandée par une visée particulière qui est historiquement définie par l’élaboration de la notion de sujet. Elle pose cette notion de façon nouvelle en reconduisant le sujet à sa place signifiante. »
(J. Lacan, Séminaire XI)

Freud disait autrement que le « moi » n’était pas maître dans sa propre maison.

Le « je » du « je pense » (cogito cartésien) n’est qu’une fonction grammaticale, non le foyer constitutif de la personnalité : une pensée vient quand « elle » veut, et non quand « je » veux. Quelque chose pense, ça pense, et si « ça pense » il y a quelqu’un sujet… de l’inconscient. « Je pense donc je suis »…. mais je pense aussi où je ne suis pas (exemple le rêve)…

Et un inconscient étranger au sujet qui pense, c’est du somatique…
… Et il faudrait une journée entière pour développer quelque chose à propos de la psychosomatique…

Je vous remercie.